Pendant deux ans, j’ai essayé d’écrire un livre. C’était l’amorce d’un projet de récit personnel sur le rapport à la musique et ça a duré entre 2020 et 2022. Et c’était pas évident. J’ai eu des difficultés à tenir sur le long court, à trouver la fougue, le rythme, le cadre qui fonctionne. Il y a eu des mois entiers à me dire qu’il fallait s’y mettre, sans réussir à franchir le pas. Ce n’était pas toujours gratifiant, trop flou, trop évanescent, pour que j’arrive à être régulière.
Il y a aussi eu de bons moments. La dernière période où j’ai vraiment avancé date du printemps 2022. J’étais à fond, finissant un chapitre avec la même joie que si c’était la fin d’un marathon, pleine de l’impression d’avoir franchi un palier. C’était quelques mois avant la fin de ma thèse, ça coïncidait donc avec le moment où j’ai dû stopper toute activité extra-scolaire : pause de six mois. Après le dépôt, j’ai guetté le retour de l’envie d’écrire et lancé pas longtemps après cette newsletter, en me disant que ce serait un à-côté sympathique. Je n’avais pas prévu de me prendre au jeu à ce point et de chercher en permanence de quoi fabriquer la suivante. Je pensais souvent au manuscrit sans pour autant parvenir à m’y remettre. Plus ça allait, plus le blocage devenait massif. Aujourd’hui, ça fait un an et demi.
J’ai parfois repris des notes, réouvert le document qui s’appelle “Texte global 3” sans aller beaucoup plus loin. J’ai découvert à l’une de ces occasions que le texte ne comptait pas trois chapitres comme je l’imaginais, mais bien un demi-bouquin. J’avais complètement oublié. Je me disais toujours qu’après avoir publié la prochaine newsletter, je m’y consacrerai. À chaque fois, la solution de facilité consistait à travailler à la suivante.
Au bout de 10 mois et 10 lettres, il faut bien admettre que je n’arrive pas à faire les deux. Les interstices sont trop minces pour réussir à y caser tout ce que je voudrais. C’est l’un ou l’autre. Soit je continue de laisser dormir le projet de bouquin, soit j’arrête temporairement la newsletter. Et je n’en ai pas du tout envie. Le principe et le format me plaisent, je prends plaisir à publier régulièrement, avec l’enthousiasme du chat qui dépose des oiseaux zigouillés dans le garage. Ça me ferait super chier d’arrêter.
La suggestion est venue de mon compagnon. Pour ne renoncer ni au livre ni aux lettres, il suffirait de publier le livre sous forme de lettres. Je n’ai pas tourné longtemps l’idée dans ma tête pour crier au génie.
La perspective de publier ces chapitres sous cette forme simplifie incroyablement les choses. La moitié du texte est déjà écrite, il ne reste plus qu’à revoir le découpage et retravailler ce matériau - soit l’aspect le plus plaisant du travail, auquel on a droit un fois qu’un premier jet a été, parfois douloureusement, produit. Le premier avantage et principal objectif, c’est de dégager le temps et l’énergie d’achever le travail. Le but, c’est de finir.
Penser chaque partie comme un article et non comme un chapitre - alors que d’un certain point de vue, c’est strictement la même chose - rend soudain tout ça possible. Je ne cherche plus à bâtir une architecture temporelle compliquée à l’intérieur du récit. Il suffit de s’en tenir à la colonne vertébrale de la chronologie. Je sors aussi de la perspective stéréotypée du travail créatif qu’on exerce dans l’ombre, seule et pendant longtemps, jusqu’à obtenir un objet scintillant qu’on est enfin capable de montrer au monde. Ça égratigne ce modèle classique, rendant le processus moins pur, imparfait, et c’est très bien comme ça. Quand on regarde les perspectives d’édition de premiers romans, s’accrocher à cette image parait un peu illusoire et gentiment déprimant.
Publier de cette manière est cohérent avec ce que j’ai toujours fait - écrire sur Internet - et parvient à satisfaire le critère à l’aune duquel j’ai tendance à juger mes investissements : durer. Moi qui ai toujours veillé à ne pas me mettre de contraintes de publication en matière de blog ou de newsletter, je peux désormais me permettre de le faire.
À partir de maintenant, un chapitre sera publié toutes les deux semaines, le dimanche.
Le premier s’appelle Adolescence, il est paru dans le premier numéro de notre fanzine Fragments et arrivera dans vos boîtes mail dans 15 jours.
Un grand merci pour votre lecture.